Au moment où le financement public de l’art lyrique se réduit un peu partout, les institutions concernées se trouvent confrontées à un nouveau défi : l’argent des sponsors est-il « politiquement correct » ? La polémique enfle aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne au sujet de la générosité des Sackler. Avec une fortune estimée à plus de 10 milliards de dollars, les Sackler sont une des familles les plus riches des Etats-Unis, à la 19e place du classement, bien devant les Rockefeller pourtant bien plus célèbres. Chaque année, leur fonds caritatif distribue environ 125 millions d’euros de subsides à des institutions culturelles, majoritairement des musées, mais aussi des théâtres comme le Royal Opera à Londres.
Arthur, Mortimer et Raymond Sackler ont racheté le laboratoire Purdue Pharma (1892) dans les années 50. Spécialisé dans les anti-douleurs, la société commercialise, à partir de 1995, l'OxyContin. Le produit est efficace mais le laboratoire a occulté son fort potentiel addictif. A coups de séminaires gratuits et de conférences payées, les bénéfices explosent, atteignant 31 milliards en 2016. Il faut dire que les patients ont tendance à surconsommer le produit (l'effet du médicament est de 8h au lieu des 12 annoncées), certains basculent dans les drogues dures. Enfin, des cliniques « de complaisance » alimentent un marché parallèle de cet opiacé. Parfaitement conscients de ces problèmes et de cette dérive, les dirigeants laissent faire, encourageant au contraire leurs commerciaux à pulvériser leurs objectifs.
A partir des années 2000, les procès se succèdent et les amendes tombent. Le scandale n'explose qu'à la fin des années 2000, dans la foulée de multiples révélations mettant en évidence le cynisme de la compagnie. Dans la foulée, le Metropolitan Museum annonce qu’il renonce à ces dons, même si la pilule est dure à avaler. Contacté, le Royal Opera a réservé sa réponse. Il faut dire que seule une partie de la famille reste actionnaire du laboratoire, l’autre ayant vendu ses actions en 1987 et ne se privant pas de critiquer les méthodes de Purdue Pharma. On a coutume de dire que l’argent n’a pas d'odeur, mais ce n'est pas « Sackler » que ça.
Dans le même temps, c’est l’Opéra de Liège qui est sous le feu des critiques : le théâtre reçoit en effet des dons de Japan Tobacco International. Or, depuis 1977, la publicité pour le tabac et le parrainage par ses industriels sont interdits en Belgique. Le fabricant a rétorqué que sa collaboration avec l’Opéra de Liège n'avait « jamais fait la moindre référence ni publicité pour des produits du tabac ». Le dossier est en cours d’instruction par les services d’inspection du Service Public Fédéral de Santé publique belge (voir ci-dessous la position de l'institution wallone*).
Enfin, on rappellera qu’en mars dernier, la Scala a décidé de mettre fin à son partenariat avec l’Arabie Saoudite, qui devait lui rapporter la coquette somme de 15 millions d’euros sur 5 ans. Les 3 millions déjà versés ont été intégralement remboursés, décision prise à l’unanimité du conseil d’administration du théâtre milanais. Cette rupture faisait suite à l'assassinat, précédé de torture, de l’opposant Jamal Khashoggi, au sein même du consulat d'Arabie saoudite à Istanbul.
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Laurence Equilbey, qui a grandi en Forêt-Noire, se sent à la maison dans les bois moussus du Freischütz, dont le Théâtre des Champs-Elysées propose une nouvelle production dès le 19 octobre.
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